Jean-Jacques

Il y a presque cent ans, Sacha Guitry filmait ‐ entre autres ‐ Rostand, Saint‐Saëns, Degas, Rodin, Monet et Renoir, dans leurs lieux de travail respectifs. Et trente‐cinq ans plus tard, à la fin de la seconde guerre mondiale, il confiait à Jean‐Jacques la restauration du film de 1915 alors en très mauvais état, pour un projet de documentaire plus complet, qui devait paraitre en 1952. Ce sont ‐ à ma connaissance ‐ les seules images filmées de la plupart de ces grands hommes qui ‐ chacun à leur manière ‐ ont inspiré JJ. Si bien que nos discussions en arrivaient parfois à ressembler à des toiles où il m’invitait à poser mes couleurs.

Et tandis qu’il se gardait la palette sombre pour s’approprier les tons foncés, il me laissait toutes les couleurs éclatantes des tableaux impressionnistes qu’il aimait tant. Il passait une large couche de bleus océan, puis je devais transformer les abysses en plage ; il peignait un champ en hiver, je devais essayer d’y poser la neige ou d’y faire germer les blés. Et quand la nuit commençait à tomber sur notre bataille de couleurs, Marie‐Claude venait sauver la toile, d’un mot, parfois juste d’un sourire.

Bref, ces dîners ‐ dont je n’ai ici nul besoin de conter la finesse des mets ‐ m’invitaient à voir partout, la joie de vivre. Ainsi, grâce à son pessimisme affirmé, à son ironie et son cynisme revendiqués, Jean‐Jacques m’a toujours poussé à prendre le rôle inverse de l’optimiste. Bref, je jouais au jeune du fait même qu’il jouait au vieux, et si le contraire eût été un tant soit peu étonnant, c’est sans doute de ce jeu que j’ai puisé une grande part de l’énergie qui m’anime aujourd’hui.

Mon grand-père a été enterré aujourd’hui à Clamart, après avoir longtemps vécu à Saint-Cloud.

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