Jean-Jacques

Il y a presque cent ans, Sacha Guitry filmait ‐ entre autres ‐ Rostand, Saint‐Saëns, Degas, Rodin, Monet et Renoir, dans leurs lieux de travail respectifs. Et trente‐cinq ans plus tard, à la fin de la seconde guerre mondiale, il confiait à Jean‐Jacques la restauration du film de 1915 alors en très mauvais état, pour un projet de documentaire plus complet, qui devait paraitre en 1952. Ce sont ‐ à ma connaissance ‐ les seules images filmées de la plupart de ces grands hommes qui ‐ chacun à leur manière ‐ ont inspiré JJ. Si bien que nos discussions en arrivaient parfois à ressembler à des toiles où il m’invitait à poser mes couleurs.

Et tandis qu’il se gardait la palette sombre pour s’approprier les tons foncés, il me laissait toutes les couleurs éclatantes des tableaux impressionnistes qu’il aimait tant. Il passait une large couche de bleus océan, puis je devais transformer les abysses en plage ; il peignait un champ en hiver, je devais essayer d’y poser la neige ou d’y faire germer les blés. Et quand la nuit commençait à tomber sur notre bataille de couleurs, Marie‐Claude venait sauver la toile, d’un mot, parfois juste d’un sourire.

Bref, ces dîners ‐ dont je n’ai ici nul besoin de conter la finesse des mets ‐ m’invitaient à voir partout, la joie de vivre. Ainsi, grâce à son pessimisme affirmé, à son ironie et son cynisme revendiqués, Jean‐Jacques m’a toujours poussé à prendre le rôle inverse de l’optimiste. Bref, je jouais au jeune du fait même qu’il jouait au vieux, et si le contraire eût été un tant soit peu étonnant, c’est sans doute de ce jeu que j’ai puisé une grande part de l’énergie qui m’anime aujourd’hui.

Mon grand-père a été enterré aujourd’hui à Clamart, après avoir longtemps vécu à Saint-Cloud.

35 coups de cœur

Bien que cette liste corresponde souvent (pour un tiers des films) à la note maximale (10/10) du classement général, elle se veut plus personnelle et subjective. On y trouve ainsi quelques films très rares qui m’ont transcendé, un film d’animation, ainsi que des surprises, flagrantes chez Godard, Hawks, Renoir ou Welles, qui ne sont représentés par aucun de leurs chefs-d’œuvre.

AKERMAN Chantal, D’est, BEL, 1993
BACK Frédéric, L’Homme qui plantait des arbres, FRA, 1987
BERGMAN Ingmar, Det Sjunde Inseglet (Le Septième Sceau), SWE, 1957
BRESSON Robert, Pickpocket, FRA, 1959
BROWNING Tod, Freaks (La Monstrueuse Parade), USA, 1932
CASSAVETES John, Husbands, USA, 1970
CHAPLIN Charlie, Modern Times (Les Temps modernes), USA, 1936
DELVAUX André, L’Œuvre au noir, BEL, 1987
DREYER Carl Theodor, La Passion de Jeanne d’Arc, DNK, 1928
EISENSTEIN Sergueï Mikhailovich, Bronenosec Potëmkin (Le Cuirassé Potemkine), RUS, 1925
EPSTEIN Jean, Finis Terrae, FRA, 1929
EUSTACHE Jean, La Maman et la putain, FRA, 1973
FORD John, Stagecoach (La Chevauchée fantastique), USA, 1939
GODARD Jean-Luc, Pierrot le fou, FRA, 1965
HAWKS Howard, The Big Sky (La Captive aux yeux clairs), USA, 1952
HUSTON John, The Night of the Iguana (La Nuit de l’iguane), USA, 1964
KAURISMAKI Aki, Mies vailla menneisyyttä (L’Homme sans passé), FIN, 2001
KAZAN Elia, Splendor in the Grass (La Fièvre dans le sang), USA, 1961
KUROSAWA Akira, Dodes’Kaden, JPN, 1970
LANG Fritz, M (M Le Maudit), DEU, 1931
LUBITSCH Ernst, To Be Or Not To Be (Jeux dangereux), USA, 1941
LUNGIN Pavel, Taxi-Blues, RUS, 1990
MALLE Louis, Ascenseur pour l’échafaud, FRA, 1957
MELVILLE Jean-Pierre, Le Samouraï, FRA, 1967
MIKHALKOV Nikita, Neskolko dnej iz zhizni I.I. Oblomova (Quelques Jours de la vie d’Oblomov), RUS, 1979
MURNAU Friedrich-Wilhelm, Sunrise: A Song of Two Humans (L’Aurore), USA, 1927
PASOLINI Pier Paolo, Uccellacci e uccellini (Des oiseaux petits et grands), ITA, 1966
PIALAT Maurice, Sous le soleil de Satan, FRA, 1987
REED Carol, The Third Man (Le Troisième Homme), GBR, 1949
RENOIR Jean, La Petite Marchande d’allumettes, FRA, 1928
ROSSELLINI Roberto, Stromboli, ITA, 1949
TARKOVSKI Andreï, Stalker, RUS, 1979
TARR Bela, Karhozat (Damnation), HUN, 1988
VIGO Jean, L’Atalante, FRA, 1934
WELLES Orson, Une Histoire Immortelle, USA, 1968

Le plus beau film du monde

Comme chacun sait – ou n’sait pas – La Maman et la putain (Jean Eustache, 1972) est le plus beau film du monde.

Cette affirmation péremptoire n’est pas conditionnée par quelque empirisme de mauvaise augure, pas plus qu’elle n’est due à une comparaison quelconque. Elle n’est pas relative mais absolue, et le superlatif est indissociable du film, de manière analogue à l’œuvre de Bach dans le domaine de la musique.

Le film d’Eustache n’est pas plus beau que tel ou tel autre, il est le plus beau : c’est sémantiquement, qu’il est impossible de dire un film plus beau. Mais attention, ça ne veut pas dire qu’il est nécessairement le plus beau film de l’histoire du cinéma, ou le plus beau film français, ou le plus beau film sur Paris… non, c’est du monde qu’il est le plus beau, car c’est du monde qu’il traite avant tout, et non de Paris ou de cinéma. Voici quelques extraits pour vous en convaincre, et vous inciter à aller le (re)voir au cinéma.

Quelques extraits, donc.